Par amour de la Suisse

Ce soir, les urnes livreront leur secret et l’on découvrira le visage du nouveau Parlement donc, avec lui, les contours possibles du nouveau Conseil fédéral de décembre.
Plusieurs partis ont fait de l’amour de la Suisse le principal slogan de leur campagne et l’on ne peut que s’en réjouir s’ils restent fidèles à leur idéal. Aucun parti n’a cependant dit ce qu’il mettait dans son « amour de la Suisse ». On peut donc librement essayer d’exprimer ce que l’on verrait ou souhaiterait comme conséquence d’un tel amour, pour la législature à venir.

Aimer la Suisse, c’est certainement, d’abord, en respecter les habitants c’est-à-dire prendre au sérieux leurs préoccupations, sans les insulter quand ils expriment des peurs (peur sécuritaire ou peur pour les emplois, par exemple), mais sans les encourager quand ils disent des jalousies (différences de compétences, de moyens financiers, etc) ou des haines (opinions ou cultures différentes). Respecter les habitants c’est aussi écouter ce qu’ils veulent révéler quand ils lancent une initiative qui paraît contraire à nos valeurs et non pas annuler leur texte sans appel en se réfugiant derrière le droit international. Il ne faut pas confondre les droits de l’homme et l’interprétation socio-politique variable et parfois opportuniste qu’en donnent les Etats ou les juristes. Se réfugier derrière le droit international pour bloquer les institutions nationales, c’est céder à la paresse. Ce qu’il faut plutôt, devant la menace d’une dérive de la démocratie, c’est s’efforcer de faire triompher dans le Pays les valeurs à la base de nos institutions.
Aimer la Suisse, c’est en comprendre le fondement cantonal. Les simplificateurs en tout genre, les thuriféraires du nivellement par le bas, les défenseurs du régionalisme linguistique ou économique ne pensent qu’aux avantages apparents de la centralisation, au nom d’un égalitarisme appauvrissant. Ils oublient que notre paix culturelle, religieuse, linguistique, même politique, source de stabilité et de bien-être, passe par le fédéralisme – dont ils souhaitent que l’Union européenne s’inspire ! – et que ce fédéralisme a un prix. Ce prix se calcule en perte de temps parfois, en complexité institutionnelle, en éventuel gaspillage financier, mais on n’a rien sans rien et les pays les plus unitaires ne sont pas forcément ni les plus démocratiques ni les mieux gérés.
Aimer la Suisse, c’est oser dire que quelques banquiers et hommes d’affaires se sont mal conduits, voire se conduisent encore mal et que l’économie ne doit à aucun moment se détacher ni de l’éthique, ni de la politique ; mais c’est aussi affirmer que les troubles sociaux terribles qui menacent toute l’Europe ont pour cause l’incompétence et la légèreté avec lesquelles certains responsables de l’Union européenne ont constitué la zone euro et distribué des aides pécuniaires. De même que notre Pays n’a pas été à l’origine de la deuxième guerre mondiale, il n’est pas à l’origine des catastrophes financières grecques, espagnoles, portugaises, italiennes, demain françaises et peut-être anglaises et allemandes. Quant à notre secret bancaire – renforcé autrefois pour protéger les fonds juifs de la folie nationale-socialiste – il n’est en tous les cas pas pire que toutes les tricheries et les tours de passe-passe des banques anglaises, américaines et autres qui jouent les vierges effarouchées. Par amour de la Suisse, qu’on ose le proclamer.
Mais par amour de la Suisse, surtout, que l’on restaure la loyauté en politique, que l’on ait à cœur de prouver que les politiciens sont gens d’honneur au service d’une communauté vivante, assez au fait de ses qualités et de ses faiblesses pour être patriotes sans chauvinisme ni nationalisme, démocrates sans populisme, ouverts au monde sans mondialisme. Un vrai programme d’avenir, par amour de la Suisse.